Sur des clichés monochromes, on observe souvent avec perplexité l’attitude pourtant sérieuse d’un grand-père autrement jovial, rigide, intransigeant face à l’objectif de l’appareil photo… Le mystère demeure : pourquoi donc ces figures apparaissent-elles si stoïques et même sévères sur ces photos patrimoniales ? Explications d’un expert en la matière.
Imaginez-vous un instant : « Cheese », un flash, un déclic, et voilà, la photo est réussie. Mais en envisageant cette procédure avec un sourire radieux, vous n’adoptez pas la même posture que vos aïeuls l’auraient fait à votre place. C’est ce qu’André Gunthert, éminent spécialiste en histoire photographique, a révélé lorsqu’il fut invité à l’émission radiophonique « Grand bien vous fasse » animée par Farida Bedredine.
« Au sein de la société bourgeoise du XIXᵉ siècle, la norme dans le portrait consistait à démontrer son contrôle des émotions ; ainsi, les individus penchaient souvent pour une expression sérieuse, voire austère. Des photographies où l’on sourit existent bien sûr mais sont des exceptions dans cette époque. La pratique du portrait était réglementée de manière stricte et servait essentiellement à forger l’image sociale de l’individu. »
La transformation du XXe siècle
Vers 1920, la compagnie Kodak popularise la photographie destinée à un public large avec la « Kodak girl » : une création publicitaire d’une femme rayonnante s’amusant follement à capturer des moments. Auparavant, la photographie, considérée comme technique et complexe, était principalement pratiquée par des hommes. Toutefois, elle devint de plus en plus accessible aux femmes grâce à des procédures de prise de vue désormais simplifiées, leur permettant d’explorer cet art qui se limitait généralement aux portraits de famille.
André Gunthert, renchérit : « En 1968, Andy Warhol déclarait : « Chacun aura droit à ses quinze minutes de célébrité ». Cette affirmation n’était pas anodine ! Grâce, notamment, aux progrès techniques, tout un chacun avait désormais la possibilité d’être représenté en image. Alors qu’initialement limitée à une élite, la photographie s’est démocratisée. Ce changement a modifié notre relation à la visibilité. Participer à une photo est devenu l’équivalent d’une exposition sur une scène publique. Et le sourire est le résultat direct de cette évolution. »